Moi je ne disais rien, j’étais un peu timide et je n’avais pas tellement envie de rigoler. Je l’ai regardé et je lui ai demandé avec un pâle sourire : « Alors qu’est-ce que tu aurais voulu que je fasse, que je mette à la fin “Tout est politique” ? » Et il m’a dit : « Tu vois, ça aurait peut-être suffi ».
Or il y a déjà un film qui se termine par « Tout est grâce » et comme je n’aurais jamais fait Chronik s’il n’y avait pas eu le Journal d’un curé de campagne, pour d’autres raisons, je n’allais tout de même pas terminer un film avec la phrase « Tout est politique » pour que ça plaise à Jeannot !
En plus tout le monde le sait que tout est politique. Alors c’est se foutre du monde.
Je crois que les films politiques sont faits par des gens qui n’essaient pas de faire les malins.
DH : Don’t be clever for the sake of being clever, c’est une petite pièce de Glenn Gould qu’on a entendue ce matin…
JMS : Quand Lang, ce demi juif viennois, après des années de silence, après être passé de l’autre côté de l’Atlantique, essaie d’assimiler l’américain, la réalité américaine comme il était capable de le faire, à coups de patience quotidienne, de dictionnaires et de recherches, quand il fait Fury, eh bien ! oui, on n’a pas l’impression d’un monsieur qui fait le malin, on a l’impression de l’irruption de x années d’expérience, de travail, de découvertes. Quand Chaplin fait Un Roi à New York, il ne fait pas le malin. Quand l’auteur de Durutti fait Durutti on voit le résultat. Ça devient de la débilité mentale, deficienza… Alors à quoi ça sert ?
Il y a tellement de conneries dans le monde que faire un film politique ça consiste au moins à ne pas en rajouter une de plus. Il y a même des moments où on aurait pu dire qu’il faut travailler suffisamment pour arriver à faire un film qui ne soit pas pernicieux parce que tout ce qu’on vend aux gens, tout ce qu’on leur raconte est pernicieux.
D’abord le travail ça se fait sur soi-même, il faut éviter l’auto-complaisance, alors, la soi-disant originalité.
Cette perspective de rétablir la culture orale, n’est-ce pas un projet politique de votre cinéma ?
JMS : Comme tu le dis là ça a l’air très flatteur, mais il ne faut pas croire que c’est systématique et conscient, c’est quelque chose qui est venu lentement. C’est aider les gens à rêver à quelque chose que l’industrie en général et l’industrie culturelle en particulier a refoulé, éliminé. C’est entendre non seulement quelque chose qui a un rapport avec le collectif, mais des choses qu’ils ne connaissaient pas.