On est frappé quand on voit des ouvriers qui restaurent une cour, abattent le crépi qui tombe et repeignent quatre couches avec un ciment et un autre ciment, deux couches de peinture, etc., pendant six mois, on est frappé de la conscience professionnelle que cela suppose. La bourgeoisie qui, dans son travail, n’est plus capable de conscience professionnelle, en voyant ça elle devrait ou bien leur rigoler au nez devant tant de naïveté ou bien aller voir son confesseur et demander pardon. Il n’y a qu’un seul crime irrémissible dans l’Evangile, c’est le crime contre l’esprit. Eh bien ! celui-là, il y a belle lurette que la société dans laquelle on vit, non seulement l’a commis mais le pratique et le cultive à longueur de jours et d’heures !
Quelle place occupe la théologie que tu évoquais dans la définition du cinéma politique?
JMS : Ce que j’appelle théologie, c’est ce qui a rapport avec dieu ou les dieux. Il faut savoir qu’avec les civilisations, les paysans ont inventé les dieux, il faut savoir ce que c’est que l’invention du monothéisme, que c’est très difficile de se passer de dieux. Qu’on mettra encore des siècles pour y arriver et que s’en passer à la manière de la bourgeoisie voltairienne, ce n’est certainement pas la solution. Ce n’est que celle du cynisme. Et quand on a dit ça, il faut dire aussi que la théologie — revenons une fois de plus à Péguy qui dit : « Je ne suis pas pieux dit Dieu » — ça veut dire éviter aux gens d’entretenir des sentiments frelatés là-dessus, de pratiquer le sentimentalisme et la piété. Et c’est justement ce qui sert d’ersatz et là encore on peut dire que Goebbels a gagné la guerre. On vit dans une société des ersatz, à tous les niveaux : pour l’eau, l’air, les sentiments, la morale, pour Dieu, pour tout. C’est pour ça qu’on a inventé la sociologie et les psy qui remplacent les confesseurs.
Au cinéma le fait de représenter, d’imiter participe-t-il la même idéologie du simulacre, de l’ersatz ? et votre attachement au son direct, à la matérialité des objets et des lieux procède-t-il de cette théologie?
JMS : On peut le dire autrement : « Retour à la réalité ! retour à la réalité ! retour à la réalité ! »