Et on les a tous envoyés foutre parce qu’on voulait faire ce film avec Gustav Leonhardt qui, à l’époque, n’était pas au box office de l’industrie culturelle, quand tout le monde, même les musiciens et les musicologues nous disaient : « Comment ? Qui ça ? » et on devait écrire le nom sur un bout de papier. De même Nikolaus Harnoncourt. Quant à ce pauvre Wenzinger, le bras droit de Paul Sacher à Bâle, il n’était pas plus connu : ils sont dans le film avec Leonhardt et comme cela n’avait aucune valeur au box office de l’industrie culturelle, personne ne voulait donner un sou pour ce film. Or si on fait un film politiquement, c’est-à-dire en organisant ce qu’on fait, cela veut dire qu’on choisit ses acteurs en ne s’adressant pas au casting ou au box office sous prétexte qu’il faut faire ça sinon on n’aura pas de sous, que sans Depardieu le film ne se fait pas, sans la dernière belle fille à la mode on n’aura pas d’argent du CNC, le film n’ira pas à Cannes, etc. Sinon, non seulement on ne fait pas des films politiquement mais on ne fait pas les films qu’on a envie de faire. Brecht lui-même disait déjà dans sa préface à Kuhle Wampe : « l’organisation nous a coûté bien plus de peine que die kunstlerische arbeit… le travail artistique lui-même » et, dit-il, cela vient du fait que c’était un film politique.
C’est une autre réponse à la question initiale : si on veut faire des films politiques, il faut les organiser soi-même et ne pas s’en remettre à des organisations, même amicales, même de chers amis qui nous aident un petit peu…
DH : Il y a toujours un moment où on est forcé de dire : eh bien non ! ce sera comme ça et si vous n’en voulez pas on s’en chargera nous-mêmes. Même écrire sur un dépliant « ce film a été refusé par le comité de sélection du festival de Cannes », ce qui est la stricte vérité, déclenche des réprobations de nos amis qui s’écrient : « Qu’est-ce que vous voulez ? secouer le cocotier de Cannes ? » Et nous on dit : « Ecoutez, si vous ne voulez pas vous brouiller avec votre monde, parce qu’après tout c’est le vôtre, pas le nôtre, on prendra ça en charge nous-mêmes »… Et puis finalement, parce que “Straub” c’est devenu une marque, qu’ils nous aiment bien, ils cèdent, mais ce sont tout de même des rapports de forces.
JMS : Faire un film politiquement, c’est faire un film avec les objectifs dont on a besoin, le nombre de mètres de pellicule dont on a besoin, le tourner dans l’ordre dont on a besoin, avec le matériel dont on a besoin, c’est payer les techniciens au moins au tarif syndical et de les payer au début de chaque semaine et non à la fin et ne pas se laisser imposer des économies ridicules alors que la production commerciale dans son ensemble gaspille l’argent en faux frais et à des choses inutiles et condamne les gens qui font des films, même des gens prestigieux comme Bertolucci, à avoir des rushes en noir et blanc ou à se limiter à deux objectifs.