On était là-bas, je n’avais pas du tout l’intention, aux côtés de Cohn-Bendit et d’autres, de rentrer en France et de me faire foutre en tôle pour un an, mais on était là, il y avait une certaine nostalgie, même si c’était, en partie malgré tout, une “chienlit” comme disait l’autre… Qui d’ailleurs s’est fait vider à son dernier referendum, ça c’est clair, parce qu’il avait demandé une miette : la participation. Ça a suffi pour qu’on liquide De Gaulle ! On pouvait rigoler de la “participation”, maintenant on y revient : les ouvriers et employés actionnaires… Mais c’était suffisant pour qu’on le renvoie à Colombey, qu’on le renvoie “traire ses vaches” comme disait Anna Magnani dans le Carrosse d’or. Alors les circonstances…
DH : Les circonstances on y réagit forcément, comme individus, mais ce n’est pas une raison suffisante pour mettre ses réactions individuelles dans un film : ça recoupe les histoires de sentimentalité.
Regarde : quand Cézanne peint ses joueurs de cartes, dieu sait que personne n’aurait l’idée de dire que c’est politique. Et tout d’un coup tu vas dans un bistro à Froidcul au-dessus de Moyeuvre-Grande en Lorraine, et dans ce bistro il y a une reproduction des Joueurs de cartes : ça fait un drôle d’effet. Alors tu en parles au type derrière le bar et il dit : « Oui, ça me plaisait »…
JMS : Ce n’est peut-être pas directement politique, mais je suis fasciné par le fait que Cézanne est complètement réaliste. Je vois des gens qui jouent aux cartes depuis vingt ans en-dessous de chez moi, qui, socialement, ne sont pas du tout les mêmes, ils sont en blue-jeans, il y a des loulous et d’autres qui sont d’anciens métallurgistes, mais quand j’observe les mecs debout, assis, les gestes, c’est hallucinant de voir combien Cézanne est réaliste. Or les films politiques commencent avec le réalisme. Le réalisme qui consiste, comme disait Brecht, à commencer avec le particulier et, bien enraciné dans le particulier, là seulement, à s’élever jusqu’au général. Il dit : « la chose unique, boutonnée/liée, avec le général ».
En plus dans notre petite biographie personnelle — notre “carrière” qui fait des progrès gigantesques puisqu’on ne parvient même plus à avoir d’argent du CNC !… —, les choses sont en dents de scie, la chronologie des films n’est pas celle des projets : Chronik aurait dû être le premier et Moïse et Aaron le deuxième, et cela s’est passé autrement. Machorka Muff n’aurait jamais dû être le premier.
Faire des films politiquement c’est aussi faire ce que disait Cocteau : « Ce qu’on te reproche cultive-le, c’est toi-même ». Chronik on l’a fait tel qu’on voulait le faire et non pas comme des gens nous conseillaient de le faire au cours des dix années où on attendu de pouvoir le faire. Le premier avec Curt Jurgens, le second en nous donnant le double d’argent qu’aurait coûté le film mais en payant Herbert von Karajan…