On vit dans un monde, on fait partie d’une humanité que cet esprit et ce système-là ont rendus très malades, malades jusqu’à la mort ! Par conséquent quand ça aura eu lieu, si c’est encore possible, il faudra bel et bien une convalescence. Ainsi, les gens qui font ce film qui se termine comme ça, eh bien, ils ne s’arrêtent pas là-dessus, ils ajoutent, en demandant le cadeau à Beethoven, ils ajoutent l’idée de convalescence.
Et s’il n’y avait que l’un ou l’autre aspect, ce ne serait pas un film politique.
Il ne faut en aucun cas avoir peur des contradictions, sinon on fait exactement comme la société dans laquelle on vit qui travaille à fabriquer des robots, des culs-de-jatte : des robots aux plans moral et intellectuel et des culs-de-jatte au plan des sentiments. Il faut donc aller à contre-courant.
Faire des films d’agitation, je ne crache pas dessus — je n’ai d’ailleurs aucun droit de le faire —, mais je crois que ce serait encore plus difficile à faire et si on les fait en se laissant porter par les courants d’air de la mode, ça ne vaut pas la peine
DH : Ni même les faire emportés seulement par la colère. La rage. La fureur.
JMS : Parce que comme disait Brecht, la rage ça rend la voix rauque. « Nous n’avions pas le choix mais sachez que nous nous sommes fait la voix rauque ». Or si on a le droit de se faire la voix rauque, on n’a pas celui de faire la voix rauque aux gens qui l’ont déjà pour d’autres raisons… Et surtout on n’a pas le droit de leur faire croire que si on applique telle et telle recette en sortant du cinéma, tout ira mieux, etc. “Comme c’est simple, tiens ! on n’y avait pas pensé…” Comme dit Delahaye il y a toujours les bons derrière la caméra et les méchants devant.
Il y a pourtant dans vos films quelque chose qui relève de la nécessité de les réaliser, ils sont ancrés en un lieu, un moment, peut-on appeler tout de même cela une urgence ?
JMS : C’est chaque fois différent.
Le Fiancé, la comédienne et le maquereau, le moment, l’urgence, c’était qu’on quittait l’Allemagne au moment où la police enfonçait les portes des universités à coups de hache, que nous on avait mis dix ans à se faire traiter comme des chiens pour essayer de faire des films, en particulier Chronik qui était le premier projet puis les deux autres, Machorka Muff et Nicht Versöhnt. On partait, voilà tout, et, à ce moment-là, il y avait ce qu’on a appelé “mai 68” et il y avait un petit décalage.