Voilà qui pourrait servir de définition à un cinéma politique : éviter absolument ce qui fait que le capitalisme continue à vivre, l’inflation. Si en esthétique on pratique la même inflation qui fait vivre la société capitaliste, le monde dans lequel on vit, c’est pas la peine, on apporte de l’eau à ce moulin-là.
Elio Vittorini dans les Lettres françaises du 27 juin 1947 dit ceci :
« Ma première prise de conscience au spectacle de la société où je vivais. Cet énorme mensonge, je le connaissais assez, lui. Tous se référaient à une morale antérieure au fascisme, à une morale d’où était justement issu le fascisme. Tous conduisaient donc finalement au fascisme encore. Au mieux à la stagnation morale, à la stérilité. Ils essayaient de panser les plaies, de panser encore. Jamais ils ne s’attaquaient à la maladie elle-même. Cela on pouvait le voir sans avoir lu Marx. Il y a dans toute époque historique donnée une certaine somme de moyens possibles, une certaine provisions de moyens, si vous voulez. Or à toutes les époques de l’histoire, tous les moyens dont elle disposait en fait ont été employés, quelle que fût la morale professée par la même époque. C’est cette hypocrisie que dénonçait déjà Machiavel qui voulait rendre le Prince conscient de ce qu’il faisait. Aujourd’hui nous venons de découvrir des moyens nouveaux : ceux de l’énergie atomique. S’est-on privé de les employer ? Non. Posons donc que tous les moyens dont dispose une époque sont pratiqués par cette même époque. Mais le monde capitaliste est tel que ces moyens sont pratiqués dans une absurdité et hypocrisie absolues. Ce sont des moyens sans fin, un chaos de moyens. Nous sommes dans une époque où règne un fantôme de morale. »
Et cela date de 1947, qu’est-ce qu’il dirait de nos jours ! Depuis il n’y a même plus de fantôme, il n’y a plus que le cynisme qui ne s’avoue même pas en temps que tel…
Enfin, bon Dieu ! la grande musique politique ce n’est pas une musique d’agitation ou de cabaret, même s’il y a des choses très caustiques et très drôles dans les cabarets — et encore : la seule grande chanson de cabaret c’est Schönberg, finalement, qui l’a écrite : il y en a trois, ça dure à peine dix minutes…
La grande musique politique, qu’est-ce que c’est ? Eh bien c’est Beethoven et, dans cet ordre d’idées, un grand film politique c’est This Land is Mine de Renoir qui est, en un sens, un film d’agitation d’ailleurs. Ou d’un autre côté, un grand film politique du type Beethoven, c’est Un Roi à New York.
Comolli et Monsignore Dario Fo, c’est énorme parce que c’est déjà ce contre quoi Brecht se battait. Sa religion esthétique, c’est exactement la mentalité de notre banquier dans Leçons d’histoire.