C’est exactement ce contre quoi s’est insurgé Walter Benjamin quand il a dit que la révolution « c’est le saut du tigre dans le passé ».
Donc un film politique est un film qui doit rappeler aux gens qu’on ne vit pas dans “le meilleur des mondes possibles”, loin de là — ça Buñuel le disait déjà — et que le moment présent, qu’on nous vole au nom du progrès, ce moment présent qui passe, est irremplaçable. Qu’on est en train de saccager tous les sentiments comme on saccage la planète et que le prix qu’on demande aux gens, pour le progrès ou le bien-être, est beaucoup trop élevé, qu’il est sans justification. Sans compter que la pauvreté et la misère se multiplient dans ce système — non seulement dans le Tiers-Monde, parlons de l’Angleterre sur laquelle on apprend des choses hallucinantes ces temps-ci, l’Angleterre berceau du capitalisme, justement !
Il faudrait qu’on fasse sentir aux gens que le prix est trop élevé et qu’il n’y a qu’une chose à défendre, c’est justement le moment qui passe et de ne se laisser en aucun cas embarquer dans une fuite en avant.
Il faut donc revenir à ce que dit Benjamin ; la révolution, « c’est aussi remettre en place des choses très anciennes mais oubliées » (Péguy). Les films qui font sentir ça sont des films politiques. Les autres sont des truffe, des tromperies.
Ce qu’on appelle le cinéma politique, c’est quelque chose qui va et vient selon les modes… Quand Comolli est arrivé chez nous, à Rome pour préparer La Cecilia, il n’avait qu’une idée en tête, une idée fixe, il voulait nous convertir à la religion esthétique, à l’esthétique religieuse de Monsignore Dario Fo. Ça a donné La Cecilia, Durutti… Il faut savoir une bonne fois que Hölderlin est cent fois plus politique que Jacques Prévert. C’est tout ! Même si on n’a pas découvert que Hölderlin était le seul esprit européen, le seul poète en tout cas, qui avait été capable, avant la menace industrielle et sa réalisation, d’inventer la seule chose qui pourrait sauver « les enfants de la terre » comme il les appelle, et « leur berceau, la terre » de la catastrophe. Ce qu’il a inventé et que j’ai appelé : une utopie communiste. Alors qu’au même moment tous les beaux esprit de l’époque apportaient de l’eau au moulin du développement, du progrès.
Quelle part peuvent prendre les circonstances quand on fait un film politique, peut-on s’en affranchir ?
JMS : Un Roi à New York est vraiment un film fait sous le coup de la menace maccarthyste qui visait Chaplin personnellement en plus des autres.
Rien n’est plus difficile que de faire des films militants ou de militants.