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Jean-Yves Petiteau

Un midi, au café, Jean-Marie Straub s’est mis à parler du cadrage en regardant devant lui un panneau de circulation, son « idée de cinéma» était d’y insérer la phrase tout entière.

Ce pourquoi nous étions là tenait tenait principalement au fait que Jean Marie Straub acceptait que nous soyons là et puis cela tenait notre envie. L’envie d’être là, comme si c’était une grande aventure presque immobile.

Ce plaisir d’être là, nous ne pouvions sans doute pas le lui dire.

Nous sommes allés à la projection. Le film avait bien la force de cet homme, sa rudesse et sa tendresse tourmentée.

 

Nous avons assisté au repérage et au tournage en tentant d’identifier avec lui chaque repère où la parole de Jean Bricard s’était dite.

Jean-Marie Straub restait avare en confidences sur le projet du film et la construction du récit comme s’il faisait surgir du lieu lui-même, l’agencement des plans et de la parole.

Ce travail sur le terrain relevait souvent de l’aventure. Les traversées en plate devenaient glaciales.

 

Nous avons assisté aux dernières séances de montage sonore, réalisé au Fresnoy...

Le film par sa sobriété et son intensité m’a encore une fois surpris comme une création totalement nouvelle.

Durant toutes les séances de repérage et de tournage, Dimitri Haulet a traqué le son dans toutes ses manifestations quelle qu’en soit l’intensité ou l’origine, qu’il s’agisse du parcours lointain des véhicules ou du frémissement du courant aux abords de l’île, du passage d’un oiseau dans le vent ou de l’écho d’un long-courrier dans le ciel.

Aucune musique n’est greffée sur une séquence du film. Le son direct des lieux sera plus tard, la seule présence qui accompagnera les images noir et blanc.

Le mouvement de la caméra est d’abord porté par la barque dont le périple dessine le contour de l’île. Elle montre une eau noire et brillante et les branches des arbres semblent s’enlacer dans un balai interminable. La seule phrase prononcée dans cette séquence fait surgir le récit comme un conte millénaire.«C’était l’île de mon enfance ».

Lors du parcours sur les berges, aucune parole n’accompagne les images.

Le récit enregistré, intégralement restitué dans sa chronologie surgit entre les lieux par fragments, sur un écran noir. La mise en scène de cet itinéraire donne une force au récit enregistré, inimaginable auparavant. Aucun personnage ne traverse le lieu.