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Giorgio Passerone

La contamination italo-américaine37 la plus inébranlable de Pavese vient sans doute de là, du côté du capitaine Achab, cet Actéon écrasé lançant son défi : « Tous les objets visibles ne sont que des mannequins de carton, mais danschaque événement… dans l’acte vivant… derrière le fait incontestable, quelque chose d’inconnu et qui résonne se montre derrière le mannequin… Si l’homme veut frapper qu’il frappe à travers le mannequin ! Comment le prisonnier pourrait-il s’évader, atteindre l’air libre sans percer la muraille ? Pour moi cette baleine blanche est cette muraille. Parfois je crois qu’au-delà il n’y a rien. Mais tant pis, ça me travaille ça m’écrase ! Je vois en elle une force outrageante avec une ruse impénétrable. C’est cette chose impénétrable que je hais avant tout, et que la baleine blanche soit l’agent ou soit l’essentiel, j’assouvirai cette haine sur elle. Ne parle pas de blasphème, gars ! Je frapperais le soleil s’il m’insultait »38. Achab a percé l’apparence, au-delà des mannequins de carton ; il a eu la vision de la sauvage solitude de la vie–matière–infinie trop puissante pour lui, – l’océan et la terre, effrayants etverdoyants, amour et haine, incessante renaissance et destruction à la fois – et c’est ça qui l’entraîne vers l’inconnu qui résonne dans l’événement : un devenir-baleine. Mais derrière les mannequins, il a vu se dresser la force outrageante, le combat de la jalousie présidant à toutes les créations. Il lui faut une fois pour toutes desceller l’intimité cosmique de la vie et de la mort, se libérer de la haine : il va livrer le combat de la dernière chance et il rebondit contre la muraille, la baleine, tout le devenir englouti dans sa monomanie – haine contre haine. Comment se déprendra-t-on de cette volonté de néant, comment continuer à chasser en acceptant tout à la fois intrépidement d’être chassé par une vie inhumaine plus qu’humaine, una belva, une baleine ?

 

Sur le plan d’immanence de cette italianité étrangère Achab/Pavese39 se métamorphose sous les traits de l’Empédocle hölderlinien sur les pentes de l’Etna, la terre et les arbres, le ciel et les nuages siciliens (« peut-être que nous sommes arrivés à Hölderlin grâce à l’Italie. Sans être passés par Pavese, sans avoir tourné auparavant Dalla nube, peut être que nous n’aurions jamais fait les films sur Empédocle »)40.

Car Empédocle aussi, le descendant des dieux, traque la haine du peuple d’Agrigente, veut la faire passer par une purification inouïe, prolongeant encore son défi.