Par cette expérimentation extrême, hors des chemins balisés de la morale, le furieux rentre dans la connaissance, contemplative et active, d’une véritable éthologie de la nature telle que l’avaient enseignée les présocratiques, Lucrèce et Épicure : « Grâce à cette contemplation, si nous y sommes attentifs, il adviendra qu’aucun accident étrange ne nous affectera de deuil ou de crainte, et qu’aucune bonne fortune ne nous soulèvera de désir ou d’espérance. Nous serons alors sur la vraie voie de la vraie moralité, nous aurons de la grandeur d’âme, du mépris envers ce qu’estiment les esprits puérils, et nous deviendrons certainement plus grands que ces dieux adorés par la foule aveugle. (…) Telle est la philosophie qui ouvre les sens, contente l’esprit, magnifie l’intellect et conduit l’homme à la vraie béatitude qu’il peut atteindre en tant qu’homme. Et dont je vais dire ce qui la compose : elle le libère du souci pressant des plaisirs, comme du sentiment aveugle des douleurs ; elle le fait jouir de l’être présent, sans plus craindre ni espérer du futur. (…) Nous saurons qu’il n’y a pas de mort, pas plus pour nous que pour aucune substance : rien ne diminue substantiellement, mais tout change d’aspect en parcourant l’espace infini. (…) car nous connaissons un monde où toujours les choses se succèdent les unes aux autres, sans qu’il y ait de fond ultime d’où, comme dans le mains d’un artisan, elles s’écouleraient irréparablement dans le néant »28.
Le Naturalisme matérialiste de cette affirmation grandiose, qui annonce déjà le gai savoir nietzschéen, destitue le négatif de toute pensée, démystifie le faux infini des dieux de la religion, la fausse physique du destin des mythes et remet à sa place mutante, infime mais par là même héroïque, l’homme. Car si tout tourne et se métamorphose sur la roue, dans un souverain désintérêt pour le sort humain, tout homme est néanmoins susceptible de composer – le temps fuyant de son apparition – un maximum de connexions dans l’infinité des relations du réel. C’est la difficile conquête de l’Amor fati d’Actéon. Il s’endurcit dans l’expérience aimante et hallucinée de la mort – « Ahi, qual condizion, natura o sorte / in viva morte morta vita vivo / Amor m’ha morto (ahi lasso) di tal morte, / che son di vit’insiem’ e morte privo »29 – jusqu’à ce que le suspens du mouvement, du temps et de sa vie, métamorphose « son disquarto » dans la puissance au « présent » d’un événement qui libère des servitudes, de la tristesse, de la mort, et donne un sens imprévu, centrifuge, à la vicissitude universelle.