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Giorgio Passerone

L’éveil aux aguets d’une solitude peuplée se suspend à l’infinitif22, que son accomplissement formel (états de choses, sujets) ne parachève pas. Alors, ne pas encore toucher c’est déjà toucher, et toucher c’est être touché, le liant et le lié – une roche, un genou23.

J.-M. S. gravit le sommet du mont. Six lents panoramiques alternent asymétriquement de droite à gauche, de gauche à droite. Ils respirent le ciel et le vent, la clameur bruissante des frondaisons, les lichens et les mauvaises herbes qui parsèment une pente. La largeur profonde de ce plan d’ensemble fait pulser la durée d’un apaisement d’autant plus en survol qu’il se fond dans le sol, au ras de deux stèles funéraires, dont celle qui arrête le mouvement au milieu d’une clairière nue. Nous voyons l’horizon de la rencontre d’Artémide et nous ressassons d’autres mots étrangers : « ‘… Non conosci / la storia del pastore / lacerato dai cani, / l’indiscreto, l’uomo-cervo… ?’/ ‘O straniero, io so tutto di lei’ »24. Le discours indirect se libère toujours du mythe. Oui, un spectre hante le vide-tout-plein des panoramiques straubiens : c’est Giordano Bruno-Actéon l’hérésie de ce paysage italien25.

 

7. Détour par une fureur. Bruno, « il fastidito », enragé par les savoirs et les croyances des pédants de tous âges, ne pensait que dans la Vie-matière-infinie (« sans la matière, hors la matière, rien ») et pour cette vie. La roue du temps en tant que métamorphose non hiérarchique et non anthropocentrique des formes engendrées en son sein, la vicissitude dans la coïncidence des contraires, la tension du maximum dans le minimum : il appelait cela le « garbuglio » de l’Univers-Nature26. Contre la transcendance des théologiens, réformés ou pas, Bruno fait éclore les plissements matériels d’une syntaxe anti-petrarquiste qui englobe toute allégorie mythique et magique dans la contamination de tons réalistes, grotesques et sublimes, de la prose et de la poésie, selon la tradition inaugurée par Dante ; et il invente l’expressivité baroque d’une autre dignité – animale27 et « divine » – de l’homme, qui dépasse sa théorie de la nature-ombre comme émanation inconnaissable de la lumière de l’Un. Bruno revendique l’expérience impie de la fureur comme un vice, car la solitude du furieux n’est pas « dans la tempérance de la médiocrité » mais « dans l’excès des contrariétés », au-delà des sens cloîtrés, des confins où la raison est condamnée.