Déjà chez Pavese, la pensée problématique de ce « oui » entrouvrait dansles Muses les dualismes irrésolus – d’un côté Mnémosyne, engendrée dans le marais de Bébaïe, le silence bouillonnant des origines d’où jaillit la vie de toute chose, « monstres et dieux d’excréments et de sang » d’avant les dieux olympiens trop humains ; de l’autre Hésiode et la fatigue interminable des hommes, leur impuissance à toucher « ces choses », « l’effort pour rester vivant d’heure en heure, la vue du mal des autres, du mal mesquin, fastidieux comme les mouches d’été ». Mais l’image des Straubs n’est jamais illustrative, ni du contenu des conflits, ni de la virtualité de leur issue. Sa propre virtualité est créée, en acte, captée par le cadrage. On entend un vol d’oiseaux qui plane dans l’air, on voit la terre nue de la terrasse dans la chaleur blanche d’un après-midi d’été. La fabulation des voix, la force de leurs césures métriques est dense, mais de la légèreté d’un tel passage de vie. C’est pourquoi nous n’y ressentons plus la signification métaphorique de l’origine mythique (le Souvenir du Modèle), mais la paraphrase mouvante d’une mémoire du monde inhumain oublié. Cet oubli transcendantal n’est pas l’arrêt extatique du temps ni l’éternel retour du Même – l’instant comme destin. Il bat la durée chronique toujours trop tôt trop tard de la « géologie » aérée du plan. Ainsi les Straubs font rendre gorge au « oui » de Pavese, comme chez Cézanne, « l’homme fatigué absent mais tout entier dans le paysage ». Un événement lui aussi.
5. Un (événement) vs. Le (mythe). La consistance du plan fixe haptique11 du Genou d’Artémide met en variation dramatique un tel bloc. C’est la vitesse absolue de sa lenteur - ses nuances, ses resserrements, ses dilatations, ses déflagrations – qui absorbe les stases et les haltes, les repos des voix, la respiration des corps, les rythmes de pensées. Et le genou qui n’a été touché par personne, « ni par les dieux ni par les hommes » y devient indiscernable d’« una magra ragazza » : une fleur, une baie, une louve, une daine, une serpente, una belva, « une chose sauvage », « un sourire incroyable et mortel », « une lumière un peu livide, couverte », « un commandement qui anéantit ». Les répétitions de l’indéfini, charriées par la dureté des citations atonales de Dario Marconcini/Endymion, nous font percevoir la pleine réalité de cette multiplicité de virtualités intensives singulières, irréductibles aux formes, aux sujets, aux modèles déterminables sans pour autant qu’elles soient indéterminées. Quella voce, « la sua voce » est la tension indifférenciée d’une voix « un poco rauca, materna » (« un peu rauque, maternelle »), le point de contact entre la fabulation de l’image sonore et les foisonnements germinaux de l’image visuelle, une vague atmosphérique elle aussi sonore.