que les deux profèrent au long du film, ils reviennent à plusieurs reprises, en ton apocalyptique, sur le motif de la "décomposition de la civilisation occidentale", de la "destruction du capitalisme", etc.
Le style de mise en scène du film de Rocha est complètement différent de celui des films romains des Straub, il s'éloigne de toute rigueur et de toute volonté d'ordre au profit d'une hystérie débridée tributaire du jeu de Carmelo Bene, qui apparaît dans une séquence de sept minutes au milieu du film (dans laquelle il dit que la décadence est belle) mais semble contaminer une bonne partie de ses autres acteurs, comme si son jeu donnait un peu le ton général de l'aventure. Mais à regarder de près, sous ce jeu intégrant les pulsions destructrices chères à Bene31, le film de Rocha répond à plusieurs titres aux films romains des Straub, dans le fond comme dans une série d'éléments. A ma connaissance, après avoir été remarquée dans un entretien avec Rocha lors de la première projection de Claro au Festival de Taormina en 197532, cette curieuse conjugaison des Straub et de Bene dans le film n’a jamais été discutée par la critique, et attend encore un examen attentif.
Si Bene prête son jeu à une séquence de Claro et inspire sans doute le jeu de certains de ses acteurs, Straub est invoqué nominalement, dans une scène de meeting politique en place publique au soir, Juliet Berto et un projectionniste parlant des ciné-manifestes qu’il pouvait lui prêter ou projeter (le garçon dit à Berto avoir des films de « Sa majesté Eisenstein », Straub, Godard, Viscontin Fellini, Antonioni, « maître Rossellini », mais pas d’Andy Warhol, qui lui semble trop à droite)33. Cette allusion ponctuelle pourrait paraître anecdotique si Claro n’entamait pas, par ailleurs, un vrai dialogue avec les films romains des Straub. Parmi les indices les plus évidents de ce dialogue, qu’il faudra discuter de près dans une analyse attentive, retenons les rapports établis par Claro, dans le sillage des Straub, à l’Histoire, au Temps et à l’Espace romains. Plus spécifiquement, discutons la façon dont Claro 1) articule le présent du capitalisme au passé de l’Empire Romain ; 2) investit les espaces publics et privés de Rome.
Au choix d'installer le théâtre de Corneille au Mont Palatin (Othon) et à celui de revenir sur Jules César via Brecht (Leçons d'Histoire), Claro répond par une scène marquante où Rocha fait son premier monologue sur l'image de la statue équestre de l'empereur Auguste (Octave). Or, Auguste est né au Mont Palatin, précisément où Straub a tourné les trois premiers actes