fermer le pop-up
Mateus Araujo Silva2

Rocha n'a laissé presque aucun texte sur les films romains des Straub avec lesquels Claro dialogue. Outre une déclaration à laquelle je reviendrai, je n'ai trouvé sur ces films qu'une référence nonchalante et ponctuelle à Othon comme un film génial25, et un éloge vague, de janvier 1973, au "dernier Straub" (lequel? Leçons d'Histoire? Introduction ... ?) rajouté par la préposition "et" à un autre film dit excellent. Curieux à première vue, ce silence l'est moins si on pense à d'autres films avec lesquels Rocha a dialogué sans les avoir beaucoup discutés dans ses textes. Le cas le plus exemplaire est celui de La fièvre monte à El Pao (1959), de Buñuel, film qu'il a repris de très près dans Terre en Transe26, mais que, dans l'ensemble de ses nombreux textes sur Buñuel, il a très peu commenté. Dans une étude comparative sur Rocha et Jean Rouch, j'ai déjà discuté le silence de Rocha sur la question de la transe chez Rouch, alors qu'elle a dû, ou au moins a pu, informer sa propre utilisation de la transe dans ses films27. A chaque fois, me parait-il, Rocha préfère garder le silence lorsqu'il sent le risque de voir son entreprise assimilée à un parrainage quelconque qui menacerait son autarcie et sa souveraineté artistiques. De la nécessité de garder cette souveraineté, il a parlé dans un entretien de 1969 aux Cahiers du Cinéma, en mettant en garde contre le risque d'épigonisme dans le rapport aux collègues européens :

 

"Dans les festivals, à Cannes, à Pesaro, même à la Semaine de la Critique, on a l'impression de découvrir le cinéma d'une société anonyme de style et de pensée. Le godardisme, par exemple, qu'on retrouve partout. Et même du point de vue technique ce n'est pas réussi. C'est superficiel. C'est le cas dans le cinéma indépendant de plusieurs pays. [...]. Maintenant, il va y avoir la mode Straub. J'ai déjà parlé à plusieurs jeunes cinéastes qui m'ont dit : je vais tourner mon film avec des gros plans de trente, cinquante minutes. Après la mode Straub, il y aura sans doute la mode Jancso. Les jeunes cinéastes devraient comprendre que Straub est important parce que c'est un créateur original et que la prolifération des styles individuels est la chose la plus importante pour que le cinéma puisse se développer" (Cahiers du Cinéma, n.214, juillet-août 1969, p.29). 

 

L'intérêt et l'envie de dialoguer avec ces cinéastes coexistaient donc chez Rocha avec son souci d'autarcie et de liberté créative. Il ne voulait surtout pas devenir un épigone de ses collègues – mais il ne se privait pas d'intégrer à son propre système tout ce qu'il pouvait trouver d'intéressant dans leur travail.